Liens
 
 La révision du traité de l’Élysée, l’Europe, et la Russie
FRANCE-ALLEMAGNE
La révision du traité de l’Élysée, l’Europe, et la Russie
Henri de GROSSOUVRE

Français et Allemands devraient utiliser la révision du traité de l’Élysée en 2003 pour relancer de manière spectaculaire la coopération franco-allemande en établissant une confédération entre nos deux pays. Paris et Berlin pourraient ainsi inspirer la politique étrangère de l’Union et surtout associer la Russie au destin de l’Europe car nous partageons avec elle des intérêts économiques, culturels, et stratégiques communs.
Le quarantième anniversaire du traité de l’Élysée est une occasion offerte à la France et à l’Allemagne : ensemble, elles peuvent donner à l’Europe le fondement dont elle a besoin pour redevenir un des grands carrefours du monde. Depuis le général de Gaulle, rien ne se fait d’important en Europe sans une étroite coopération franco-allemande. Or, depuis la réunification allemande, et malgré la relance récente due à la politique étrangère de Dominique de Villepin, le couple franco-allemand fonctionne mal. L’Union européenne est à la croisée des chemins et s’apprête à réformer ses institutions. L’Europe a les moyens de s’affirmer comme force politique autonome capable d’entretenir une relation plus équilibrée avec notre allié américain et pouvant dialoguer avec la Chine, et l’Inde. Aujourd’hui, le risque est grand de voir l’Union ne devenir qu’une vaste zone de libre-échange sous protectorat stratégique américain, un géant économique, mais un nain politique. L’Union européenne ne pourra être un des pôles d’un monde redevenu multipolaire si elle n’est pas en mesure de définir une politique étrangère qui lui soit propre, de mettre en place une défense européenne, et de maîtriser son approvisionnement énergétique. L’Union européenne et la Russie ont des intérêts stratégiques, culturels, et économiques communs. Il faut donc que Français et Allemands se mettent d’accord, à l’occasion de la révision du traité de l’Élysée pour redevenir le moteur et le fondement de l’Europe, et afin d’inspirer ensemble la politique russe de l’Union.

Relancer la coopération franco-allemande
Depuis la chute du mur de Berlin, et jusqu’à leur relance récente, les relations franco-allemandes étaient en crise. La réunification allemande a déséquilibré la base sur laquelle la coopération franco-allemande avait été bâtie depuis le général de Gaulle. Au sommet de Nice les divergences franco-allemandes sont apparues au grand jour. Pour Helmut Schmidt l’équilibre franco-allemand demeure le cœur de la construction européenne, il avait fait de nombreux appels, avant le sommet de Nice, pour que l’Allemagne renonçât à demander plus de voix dans les votes du Conseil. L’Allemagne a, de jure et de facto, recouvré sa souveraineté après l’accord « 4 + 2 », et revendique un rôle international à la mesure de son poids économique et politique. Le mariage franco-allemand n’était pas un mariage d’amour, mais de raison, il était fondé sur des intérêts réciproques. La plupart des contentieux franco-allemands concernent des questions communautaires. Un compromis a été trouvé sur la politique agricole commune (PAC), mais les politiques régionales demeurent un sujet de discorde. L’élargissement n’est plus un contentieux, dans la mesure où la France ne devrait pas s’y opposer, du moins tant que Berlin sera de plus en plus soucieux des coûts impliqués. Plus que la France, c’est l’Allemagne qui devrait évidemment bénéficier, économiquement, de l’élargissement. La PAC et la politique régionale pourraient, en fin de compte, se réduire à des questions financières. L’élargissement est aussi une question hautement politique, car un élargissement précipité pourrait entraîner une grave crise économique, et, surtout, diluer le poids politique naissant de l’Union, réduisant ainsi l’Europe en une vaste zone de libre-échange sous protectorat stratégique américain. Ces contentieux franco-allemands ne peuvent se résoudre que par la négociation.
Une fois ce travail fait, il faudrait doter d’une nouvelle structure et de nouveaux buts la coopération franco-allemande : mettre en place un partenariat stratégique avec la Russie pourrait être l’un de ces buts, car la France et l’Allemagne seraient alors en mesure d’inspirer la politique russe de l’Union. Helmut Schmidt est, comme Gerhard Schröder, un Allemand du Nord, pour qui la coopération franco-allemande ne va pas de soi, comme c’était le cas pour Konrad Adenauer et Helmut Kohl, Allemands des pays du Rhin. Comme naguère pour Helmut Schmidt, il aura fallu à Gerhard Schröder plusieurs années d’expérience du pouvoir pour prendre conscience que rien ne peut se faire qui ait de l’importance en Europe sans une étroite collaboration franco-allemande.

Union européenne-Russie : des intérêts stratégiques, culturels, et économiques communs
Équilibre stratégique
L’Union européenne et la Russie ont intérêt à voir émerger un monde multipolaire dans lequel l’Europe serait à nouveau un grand carrefour du monde. Depuis que les États-Unis cherchent à acquérir une suprématie quasi totale sur le monde, les guerres, déclenchées à leur initiative, se sont multipliées : Irak, Bosnie, Kosovo, Somalie, Afghanistan. Un monde multipolaire, en revanche, serait source d’équilibre. Comme l’explique Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations, cette théorie de l’équilibre est exposée dans le livre de David Hume, On the balance of power : « dans toute la politique des Grecs, l’inquiétude à l’égard de la balance est très visible, et les anciens historiens nous en parlent très expressément ». « La politique d’équilibre obéit à une règle de bon sens, elle découle de la prudence nécessaire aux États soucieux de préserver leur indépendance, de ne pas être à la merci d’un État, disposant de moyens irrésistibles ». Un axe Paris-Berlin-Moscou favoriserait l’émergence d’un monde multipolaire source d’équilibre et de paix. La Russie, la Chine et l’Inde appellent officiellement de leurs vœux un tel monde multipolaire dont le général de Gaulle fut l’un des plus ardents défenseurs.

La Russie partenaire énergétique
L’énergie constitue l’enjeu majeur du XXIe siècle. Selon les experts (1), dans les années 2010-2020, la production de pétrole atteindra son apogée puis déclinera. C’est pourquoi le contrôle du pétrole, et surtout des énergies de remplacement, en premier lieu le nucléaire, mais aussi l’électricité, constitue un enjeu politique vital. Or la Russie, pendant les premiers mois de l’année 2002, est devenue le premier producteur mondial de pétrole, dépassant ainsi l’Arabie saoudite ; elle détient, en effet, les plus grandes réserves de gaz du monde ; de plus, elle est, avec la France, la seule puissance européenne continentale à maîtriser le nucléaire civil et militaire. La Russie constitue donc pour l’Europe le partenaire énergétique idéal.
Culturellement, comme le rappelle Fernand Braudel, « la Russie se tourne de plus en plus vers l’Europe. C’est là, pendant les siècles de sa modernité et jusqu’en 1917 et même au-delà, le fait crucial de son histoire ». La Russie apparaît sur la scène européenne, dès le règne de Pierre le Grand (1689-1725), à une époque où elle s’employait avec succès à se rapprocher de l’Europe de l’Ouest ; puis sous La Grande Catherine (1762-1796), le rapprochement s’est accéléré et s’est intensifié.

La Turquie
Vis-à-vis de la Turquie, l’Europe et la Russie ont également des intérêts convergents. On fera tout d’abord remarquer, avec l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, que « la Turquie se trouve en dehors du groupe culturel européen. Cela ne peut être raisonnablement mis en doute » (2) ; mais ce sont surtout les raisons stratégiques et de sécurité qui rapprochent intérêts européens et russes pour exclure la Turquie, car, comme le souligne Régis Debray, « l’y admettre (dans l’Europe) porterait atteinte à la crédibilité d’une défense européenne ». Or une réforme de l’Otan, allant vers la mise en place d’une structure européenne autonome au sein de l’Otan, est bloquée par la Turquie qui déclare n’accepter une telle réforme qu’à la condition qu’elle soit associée à la Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) ou, plus généralement, qu’elle soit associée au deuxième pilier européen (Pesc, Affaires étrangères, Défense).
D’un point de vue démographique, la Turquie met actuellement au monde, chaque année, autant d’enfants que la France et l’Allemagne réunies. La Russie, l’Allemagne, et la France sont dans une situation particulièrement dramatique dont les effets sont cumulatifs depuis plus d’un quart de siècle, et sont en passe de devenir bientôt irréversibles si une politique déterminée de redressement démographique n’est pas entreprise rapidement. L’Allemagne perd d’ores et déjà 100 000 personnes par an. La Turquie sera plus peuplée que l’Allemagne dès 2015 et atteindra 100 millions d’habitants dès le début des années 2030. Au début du mois de novembre, le président Giscard d’Estaing s’est exprimé sur cette question cruciale : « La Turquie n’est pas un pays européen… (…) On ne peut pas discuter, comme nous le faisons de la législation interne de l’Union, sur des points extrêmement sensibles de la vie quotidienne uniquement européens et dire que certaines discussions seraient étendues à des pays qui ont une autre culture, une autre approche, un autre mode de vie ». « Intégrer la Turquie : c’est la fin de l’Union européenne ».

Les domaines de coopération
Économiquement, il faut trouver des voies de collaboration dans des domaines scientifiques à compétence partagée, comme les domaines aérospatiaux et militaires, ou dans les domaines à compétence diffuse, comme la pharmacie ou la biotechnologie. La France, l’Allemagne et la Russie ont des structures économiques et commerciales et des potentiels humains complémentaires. On pourrait continuer le développement du corridor de transport numéro deux (Berlin-Varsovie-Minsk-Moscou) jusqu’à Paris, voire Brest, comme c’est le cas pour le projet de chemin de fer Brest-Paris-Berlin-Varsovie-Minsk-Moscou. Un accord entre Euronext (agrégation des Bourses d’Amsterdam, Bruxelles et Paris) et la Bourse de Francfort permettrait de donner au continent un avantage décisif. Cela ouvrirait sans difficulté la possibilité d’y agréger la Bourse de Moscou. Tout en favorisant le financement des entreprises russes, un tel accord serait bénéfique aux entreprises européennes, tout en donnant au continent européen la masse critique dont sa capitalisation boursière a besoin. Paris et Berlin pourraient aussi créer « une banque européenne continentale » sur une base franco-allemande. À la différence de la Berd dont le siège social est à Londres, une telle banque pourrait avoir pour mission le financement de l’industrie dans les domaines où l’avantage comparatif russe le justifie. Enfin, pour ne citer qu’une partie des exemples développés dans mon livre Paris-Berlin-Moscou, la mise en valeur des compétences scientifiques russes, ainsi qu’un échange fructueux avec la France et l’Allemagne, pourraient prendre la forme de la création en Russie d’une technopole franco-germano-russe, sur le modèle de celles qui existent en Allemagne, en Bavière pour l’informatique et les technologies de l’information, en France à Sophia-Antipolis, ou aux États-Unis dans la Silicon Valley. Une telle technopole, permettant notamment de trouver des débouchés commerciaux aux recherches scientifiques russes, devrait tourner vers l’Est l’émulation intellectuelle, aujourd’hui orientée à l’Ouest, tout en tarissant la fuite des cerveaux européens vers les États-Unis en les maintenant sur le continent.
L’Europe et la Russie ont des intérêts stratégiques, économiques, et culturels communs. Leur rapprochement n’est qu’une question de temps. Si la France ne l’anticipe et ne le contrôle pas, comme elle a commencé à le faire, elle le subira. En Allemagne, il n’y aura pas de bouleversements, mais certains dogmes de la politique étrangère allemande se modifient progressivement. L’Alliance atlantique, même si elle demeure une pierre angulaire, n’est plus « une vache sacrée », comme l’avait rappelé Rudolf Scharping, alors ministre de la Défense. À l’occasion des dernières élections allemandes, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Alliance atlantique constituait le fondement et la légitimité de la République fédérale allemande, des responsables politiques ont ouvertement critiqué la politique étrangère de Washington, allant même jusqu’à instrumentaliser la relation germano-américaine à des fins électorales. On ne mesure pas encore l’ampleur et les conséquences de la chute de ce tabou, même si les effets concrets sur la politique étrangère allemande demanderont encore du temps pour se manifester.

La politique européenne de Vladimir Poutine
Le président Vladimir Poutine a fait de la politique étrangère son domaine réservé. Sous Boris Eltsine, Evgueni Primakov pouvait imprimer sa marque personnelle ; son successeur aux Affaires étrangères, Igor Ivanov applique les décisions du président Poutine. Dans un entretien donné avant son élection de mars 2000 à un journal russe, il déclarait que sa référence pour la politique étrangère était le général de Gaulle, et Ludwig Erhard, c’est-à-dire une « économie sociale de marché » pour la politique intérieure. Vladimir Poutine veut à court terme, développer les relations économiques avec l’Union européenne, régler le problème de la dette, coopérer dans le domaine des hautes technologies, et abaisser les barrières douanières. L’accord de partenariat et de coopération, mis en place entre l’Union européenne et la Russie, entré en vigueur le 1er décembre 1997, est considéré par Moscou comme largement insuffisant. C’est un accord de préférence qui est souhaité, comme l’Union européenne en a établi avec des États d’Amérique latine ou d’Afrique. La Russie a souvent l’impression que Bruxelles cherche des prétextes pour retarder la coopération économique Russie-Union européenne. Vladimir Poutine affirme que l’avenir de son pays est en Europe. Il serait prêt à une coopération stratégique avec l’Union européenne si elle s’affirmait comme puissance autonome. Vladimir Poutine vient d’une ville, Saint-Pétersbourg, qui est le symbole de l’ouverture de la Russie sur l’Europe. Le 25 septembre 2001, s’exprimant au Bundestag en allemand, il a surtout déclaré : « Je crois que l’Europe ne peut à long terme affermir sa réputation de puissant et indépendant centre de la politique mondiale que si elle unifie ses moyens avec les hommes, le territoire et les ressources naturelles russes, ainsi qu’avec le potentiel économique, culturel, et de défense de la Russie. »

Paris et Berlin peuvent ensemble inspirer la politique russe de l’Union
Pour le moment, ni la Commission européenne, ni le Conseil ne sont déterminés à faire de la Russie le partenaire privilégié de l’Europe. De Charles de Gaulle à Jacques Chirac, lorsque la France et l’Allemagne s’entendent et définissent des buts communs, ces deux pays sont en mesure d’emporter l’adhésion de leurs partenaires européens. L’actualité la plus récente confirme cette règle. Le président Giscard d’Estaing a été choisi pour diriger l’étude sur la réforme des institutions européennes, car Français et Allemands se sont mis d’accord sur son nom. La coopération franco-allemande, après une longue crise, a enfin pu être relancée, parce que Jacques Chirac et Gerhard Schröder sont parvenus à un accord sur la politique agricole commune. Français et Allemands doivent continuer sur cette voie, travailler à trouver des compromis sur les sujets qui les divisent, la politique agricole commune, la politique régionale, et l’élargissement, afin de redevenir le moteur de l’Europe, mais cette fois de la plus grande Europe, en inspirant la politique russe de l’Union. Car, selon la formule du député européen allemand Jürgen Schroeder, depuis la chute du mur et la réunification de l’Europe, le continent est désormais ouvert (3). Vladimir Poutine ne se déplace pas dans un pays européen sans rappeler la vocation européenne de la Russie, et sans appeler de ses vœux un partenariat stratégique avec l’Europe. L’Allemagne a entrepris une coopération économique et commerciale poussée avec la Russie, mais se refuse encore à aborder les thèmes stratégiques. La coopération franco-allemande, quant à elle, se relève à peine d’une longue crise. Un partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, autour d’un axe idéal et catalyseur Paris-Berlin-Moscou, permettrait à l’Europe de résoudre les défis du XXIe siècle : l’énergie, la sécurité, l’espace et la maîtrise des hautes technologies. Un partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, sur une base franco-allemande permettrait à l’Europe de peser sur la scène internationale d’un monde redevenu multipolaire. En 1949, lors d’une conférence de presse, le général de Gaulle déclarait : « Moi je dis qu’il faut faire l’Europe avec pour base un accord entre Français et Allemands. (...) Une fois l’Europe faite sur ces bases (...) …alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors, on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l’Europe tout entière avec la Russie aussi, dut-elle changer son régime. Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le mien ». Le Général avait le génie des rapports géopolitiques, contrairement à François Mitterrand qui s’est trompé aux moments les plus importants (réunification allemande, putsch russe…). Il nous est désormais possible, pour peu que nous sachions le vouloir, de bâtir la plus grande Europe dont le général de Gaulle eût la prescience dès 1949. Car, comme l’écrivait Jean-Pierre Froehly, lorsqu’il était expert à la DGAP (4) (il a récemment rejoint le corps diplomatique allemand) : « La France et l’Allemagne devraient utiliser la chance que présente l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine pour remodeler l’architecture européenne ensemble et en concertation avec la Russie » (5).
Les fruits de la politique de M. de Villepin
Cela nous est possible, car l’évolution politique la plus récente en France, en Allemagne, et en Russie est favorable au rapprochement de ces trois pays. Avant sa réélection de mai 2002, Jacques Chirac était presque systématiquement critique à l’égard de la Russie. On se souvient des tensions franco-russes provoquées à la suite d’un déplacement à Moscou par sa visite aux pays baltes, dont la candidature à l’Otan était mal vécue par les Russes, ou encore de son intervention sur la Tchétchénie lors d’un dîner officiel à Moscou. Jacques Chirac a choisi de retourner la politique française à l’égard de la Russie, et son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, en est le plus efficace et habile artisan. Jacques Chirac a choisi la Russie pour effectuer sa première visite bilatérale après sa réélection. Le 19 juillet 2002, il a rencontré le président Poutine à Sotchi, sur les bords de la mer Noire. Cette rencontre avait été préparée par l’importante délégation ministérielle menée par Dominique de Villepin à Moscou. Le ministre français des Affaires étrangères était accompagné du ministre de la Jeunesse et de l’Éducation nationale, Luc Ferry, et du ministre délégué à la Recherche et aux hautes Technologies, Mme Claudie Haigneré. Dominique de Villepin a eu à cette occasion des entretiens avec son homologue Igor Ivanov, avec le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, avec le secrétaire du conseil de sécurité de la fédération de Russie, Vladimir Rouchailo, et surtout avec le président Poutine. La coordination des positions russes et françaises, à propos de la résolution du conseil de sécurité des Nations unies sur l’Irak, participe également de cette nouvelle politique étrangère française. Le conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité s’est réuni pour la première fois le 15 novembre 2002 à Paris. Le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, a souligné à cette occasion que ce conseil renforcera les relations quotidiennes déjà existantes entre les ministères de la Défense des deux pays et leurs services de renseignement militaire. Le dialogue énergétique qui était au cœur des rencontres intergouvernementales franco-russes de novembre 2002 est également enfin sérieusement engagé et la spectaculaire commande d’Airbus par la Russie, signée en présence des Premiers ministres russes et français est on ne peut plus encourageante. La France a joué un rôle décisif dans le compromis de Kaliningrad lors du sommet entre l’Union européenne et la Russie, rôle que l’Allemagne ne voulait et ne pouvait naturellement pas jouer. Fin décembre 2002, Paris et Berlin ont enfin fait des propositions à la Convention sur la gouvernance économique visant à renforcer la cohésion économique de la zone euro et ont publié un texte commun.
L’ouverture d’un centre culturel commun franco-allemand à Moscou, que nous appelons d’ailleurs de nos vœux depuis un certain temps, devrait bientôt être une réalité. Cet événement hautement symbolique et innovateur devrait servir d’exemple et de catalyseur à des réalisations tripartites pragmatiques qui non seulement ne nous coûtent pas d’argent, mais nous permettent d’en économiser.

« Réunir enfin, francs de l’Ouest et francs de l’Est » (de Gaulle)
Il faut à l’Europe un projet précis susceptible de susciter l’enthousiasme. Pour le moment on ne connaît ni la forme finale, ni les buts de l’Union. Une confédération franco-allemande serait le moteur et la base dont l’Union a actuellement besoin pour définir cette forme et ces buts, et dépasser la faiblesse européenne soulignée par Robert Kagan (6) dans Foreign Affairs. Il nous faut définir un projet précis, une vision, en disant clairement quelles seront les institutions de l’Union et où vont s’arrêter ses frontières, tout en désignant nos alliés et nos partenaires économiques. Il faut aussi développer une défense européenne propre, en dédoublant les structures si besoin est. Notre allié américain devrait y trouver un intérêt financier évident. Tant que l’Europe n’acceptera de consacrer que 160 milliards de dollars par an pour sa défense, quand les États-Unis en dépensent 355, elle ne sera pas capable d’assurer sa sécurité. Il est plus que temps de dépasser la méthode de Jean Monnet qui consistait à contourner le politique par l’économique. Nous croyons que cette Europe ne pourra voir le jour qu’à la condition que Français et Allemands définissent ensemble la politique de l’Union à l’égard de la Russie et qu’ils manifestent la volonté de l’associer aux processus de décision, comme au destin de l’Europe.
S’il n’est pour le moment pas possible d’intégrer économiquement la Russie à l’Union européenne, nous pourrions en revanche l’associer à des processus de décisions et surtout coopérer avec elle dans les domaines stratégiques comme, par exemple, l’avion de transport militaire A400M, les satellites de navigation et d’observation, ou la politique énergétique. On pourrait mettre en place un noyau dur au sein d’une Union devenue une confédération européenne, avec un traité constitutionnel et envisager des associations de pays comme la Russie, la Biélorussie, et l’Ukraine. La Russie pourrait être associée à l’Union pour les questions de sécurité et de politique étrangère en adhérant à la Pesc, et participer à la prise de décision sur les stratégies et les actions communes au sein du COPS (Comité politique et de sécurité prévu depuis le traité de Nice). Ceci n’entraînerait pas de coûts importants et serait décisif symboliquement et stratégiquement. La Russie pourrait aussi participer à la force de réaction rapide de l’Union. Ce grand projet européen dont la forme et les buts sont clairs ne peut passer que par une entente franco-allemande, car depuis le général de Gaulle, Français et Allemands sont le moteur et le cœur de la construction européenne. À l’occasion de la révision du traité de l’Élysée, nous espérons que l’on s’orientera vers les projets de confédération franco-allemande, encore récemment à l’étude. Bien plus encore, nous espérons même que Français et Allemands ne se contenteront pas d’une révision du traité de l’Élysée de 1963, mais qu’ils iront jusqu’à réaliser ce que souhaitait le général de Gaulle en 1943, à savoir l’abolition du traité de Verdun de 842 qui avait partagé l’empire de Charlemagne, pour réunir enfin Francs de l’Ouest et Francs de l’Est (7).

Henri de GROSSOUVRE
/cgi-bin/private/cree_onglet.pl?numonglet=44">Henri de Grossouvre habite en Autriche, où il est directeur de la société Central Europe Consulting GmbH. Son /cgi-bin/private/cree_onglet.pl?numonglet=42">livre Paris-Berlin-Moscou, la voie de l’indépendance et de la paix a été publié en avril 2002 aux Éditions de l’Age d’Homme, la seconde édition est parue en novembre 2002.

(1) Notamment N. Selley : « Changing Oil », Royal Institute of International Affairs, Briefing paper », New Series n° 10, janvier 2000 & J. Mitchell, « Oil for wheels », n° 9, décembre 1999.
(2) H. Schmidt : « Die Selbstbehauptung Europas », Stuttgart 2000.
(3) J. Schroeder : « Der offene Kontinent, Munich », 2000.
(4) DGAP : Deutsche Gesellschaft für Aussenpolitik (Council of Foreign Relations for Germany).
(5) J.P. Froehly : « Deutsch-französische Geopolitik : Sicherheit, Grenzen und Diplomatie im erweiterten Europa », Dokumente n° 4, 2000.
(6) « Puissance américaine et faiblesse européenne », article repris par la plupart des grands quotidiens européens durant l’été 2002 et qui a suscité l’émotion dans les chancelleries européennes.
(7) Ambassadeur Maillard : « De Gaulle et l’Europe » ; Taillandier, 1995, p. 99.



17, juillet 2006
 
 
 
 
 
 
 

 

  [ Accueil ] [ Mentions légales ] © Copyright 2006 Forum Carolus Réalisation First System Online