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 PBM ou la voie du coeur
PARIS-BERLIN-MOSCOU
ou
La Voie du Cœur

“Lorsque la flèche de l’intellect s’allie à l’arc des moyens habiles, le guerrier ne se laisse jamais tenter par les séductions du monde du soleil couchant”, Chögyam Trungpa, Shambhala.
Dans sa simplicité, le titre du livre d’Henri de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou (1), ne manque pas d’être porteur d’une charge signifiante des plus efficaces. Tels les koans du Bouddhisme zen dont on connaît le fulgurant pouvoir de briser les fausses certitudes, la juxtaposition des noms de trois grandes capitales européennes situées sur un trajet reliant l’Orient à l’Occident manifeste une évidence : un destin commun unit la France, l’Allemagne et la Russie, un axe naturel est là, bien réel, seulement masqué à notre vue par l’opacité mentale dans laquelle un certain conformisme nous maintient. C’est donc à une véritable métanoïa géopolitique que l’auteur de Paris-Berlin-Moscou nous invite, un retournement complet, un changement d’horizon, le regard ne se dirigeant plus seulement vers l’Ouest, vers une terre dont nous sommes séparés par un océan – au sens propre comme au sens figuré –, mais aussi et surtout vers l’Est, vers le centre du continent sur lequel nous vivons.
En onze chapitres clairs, bien documentés, s’appuyant sur des informations vérifiables, parsemés de notes et de citations précieuses, la question de la mise en activation de l’axe grand-européen continental - et des raisons qui l’appellent - est examinée sous de nombreux aspects : économique, stratégique, politique, culturel et spirituel. Dès la lecture de la quatrième de couverture, nous savons clairement où nous allons : “ Paris et Berlin doivent définir ensemble et inspirer la politique russe de l’Union car ces deux pays, et d’une manière générale l’Union européenne, ont des intérêts géopolitiques, culturels et économiques communs avec la Russie ” ; et comment nous y allons : “ La pensée et l’action du Général De Gaulle sont le fil rouge de cette réflexion sur l’avenir de la France et de l’Europe. ”. L’homme de l’Appel du 18 juin, oui, bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement quand on se souvient qu’il fut celui qui dit “ non ” à l’asservissement de la France après la terrible défaite de 1940, celui qui dit de nouveau “ non ” à la dépendance stratégique de notre pays et à son inféodation à l’OTAN. Deux “ non ” de même essence bien sûr. Deux “ non ” contenant en filigrane un “ oui ”, comme toute négation d’une négation, oui à l’indépendance de la France et à l’avènement de la Grande Europe. Dès 1949 ne déclarait-il pas : “ Faire l’Europe tout entière avec la Russie aussi, dût-elle changer son régime. Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le mien. ” (2) À nous il nous incombe donc, aujourd’hui, à l’heure où la France et l’Europe sont de nouveau menacées, de proférer ce “ non-oui ” car, à l’évidence, il est le maître-mot de cette métanoïa que l’auteur appelle de ses vœux. C’est pourquoi, disons-le d’emblée, plus que d’un “ rééquilibrage ”, terme employé par Henri de Grossouvre pour qualifier le futur souhaitable de nos relations avec les Etats-Unis et qui nous semble relever de l’euphémisme, c’est plutôt d’une nouvelle résistance qu’il faudrait parler. À moins que par “ rééquilibrage ” l’auteur ne veuille suggérer cette vieille technique propre aux arts martiaux qui consiste à utiliser la force de l’adversaire. Technique dans laquelle semble exceller Vladimir Poutine comme le remarque Henri de Grossouvre à propos de sa politique étrangère, notamment face aux Etats-Unis et singulièrement depuis le 11 Septembre 2001 : “ Le président russe manœuvre très habilement et tire le meilleur parti d’événements qui auraient dû nuire d’une manière générale aux intérêts de la Russie. ” (p.128)
Car elle est bien déconcertante, pour dire le moins, la politique internationale des Etats-Unis, cette puissance qui se déclare "amie" de la France et de l’Europe, que celles-ci considèrent comme telle malgré quelques dissensions plus ou moins importantes, mais dont les actes pourtant, comme le démontre l’auteur tout au long du livre, et plus spécialement dans le chapitre intitulé La domination américaine, sont la plupart du temps fort éloignés de ce que l’on pourrait attendre d’une puissance "alliée". Quelques exemples parmi beaucoup d’autres : “ politique de division de l’Europe ” (p.30) ; transformation de l’OTAN “ en instrument politique les dispensant de se plier au Conseil de Sécurité de l’ONU ” (p. 34) ; mise en place d’ “ un réseau d’écoutes téléphoniques mondiales : le réseau Échelon qui vise des cibles non-militaires (gouvernements, associations, entreprises, particuliers). ” (p. 38) ; pratique d’une véritable “ culture de guerre ” : “ Depuis 1941, les USA sont le pays au monde qui a mené le plus grand nombre d’opérations militaires et de bombardements hors de ses frontières. ” (3)
Que penser aussi de l’opiniâtreté avec laquelle l’"ami américain" ne cesse de manœuvrer pour s’assurer à nos dépens la mainmise totale et sans partage sur le pétrole, cette source d’énergie que le Moyen-Âge nommait aqua infernalis : “ Le but des américains est de contrôler les routes du pétrole, les régions détentrices de pétrole, ou les régions par lesquelles passent les projets d'oléoducs : Yougoslavie, Macédoine, Tchétchénie, Géorgie, Kurdistan, Asie centrale et Afghanistan. ” (p. 33) “ Les guerres menées par les Etats-Unis depuis la chute de l’URSS sont toutes sur la route des oléoducs et des gazoducs. ” (p. 36) Ce qui explique le caractère plus qu’ambigu des relations entretenues par les Etats-Unis avec les pays arabes et musulmans. À cet égard, ce que nous apprend Henri de Grossouvre à propos de ce qu’il nomme le "Pacte de Quincy" est d’un grand intérêt : “ Le 14 février 1945, à bord du navire américain Le Quincy, au large de Djeddah, Franklin Roosevelt et Ibn Séoud signent un pacte d’alliance pour plus de 60 ans. Le 18 juin 1951, un pacte militaire est également signé entre les deux pays. ” (p. 32) En contrepartie de la mainmise des américains sur le pétrole saoudien, “ l’accord stipule également que les Etats-Unis protègent le Wahhabisme dont l’influence au sein du monde arabo-musulman est de plus en plus grande. ” Or on sait, notamment depuis les attentats du 11 Septembre, que le wahhabisme, auquel se rattache Oussama Ben Laden, représente la tendance la plus formaliste et la plus fanatique de l’Islam sunnite. L’auteur ne manque pas non plus de rappeler que “ l’industrie pétrolière est au cœur de l’administration américaine ” en citant Michel Collon : “ Elle a fourni tous les ministres des affaires étrangères depuis la seconde guerre mondiale, à l’exception de deux. […] Le véritable chef de l’administration Bush, à savoir Dick Cheney, est lui-même un poids lourd de cette industrie.” (4) Henri de Grossouvre évoque également “ les relations qui existaient entre les familles Ben Laden et Bush, et la famille Ben Laden et la CIA. ” (p. 147) (5)
La cause est donc entendue, l’axe Paris-Berlin-Moscou est le “ non ” sans appel que la France et l’Europe doivent opposer au “ consentement fatal ”, ce défaitisme caché contre lequel le général Pierre Marie Gallois a mis en garde, cet abandon à un fatalisme morbide qui voudrait que l’hypermodernité américaine soit notre horizon indépassable, notre meilleur des mondes. Pierre Marie Gallois : “ Leur but (aux Etats-Unis) est de faire de l’Europe un dominion qui participerait à leurs grands desseins mondiaux ”, lesquels se résument à cela : “ la marchandisation du monde.” (6) Ah, Socrate, toi qui, traversant un marché, t’es écrié : “ Que de choses dont je n’ai pas besoin ! ”, où es-tu ?
Face à cette déferlante du "cauchemar climatisé" : l’Europe donc. Mais quelle Europe ? Question indispensable, essentielle, question vitale. Car à ceux qui ne se résignent pas, à ceux qui sont déterminés à opposer un non gaullien au “ consentement fatal ”, l’esprit de mensonge et de falsification tend un redoutable piège, un piège non moins “ fatal ” : la pseudo construction européenne, effrénée, conduite à marche forcée, fondée non pas sur le roc de son héritage culturel et spirituel mais sur le sable du primat de l’économie. Et certains de ceux-là tombent dans le piège en croyant qu’une fois l’Europe mise sur rails et bien avancée, il suffira de changer le conducteur de locomotive pour que tout aille bien ! Quand entendront-ils l’avertissement du général Gallois : “ A vouloir se faire, l’Europe se défait. ” (7) Pourtant, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, Georges Bernanos avait déjà vu clair et prophétisait : “ La civilisation européenne s’écroule et on ne la remplace par rien, voilà la vérité. A la place de ces immenses épargnes accumulées de civilisation, d’humanités, de spiritualité, de sainteté, on offre de déposer un chèque sans provision, signé d’un nom inconnu, puisqu’il est celui d’une créature à venir. ” (8) Tout est dit là, et que ceux qui ont des oreilles entendent ! On ne peut donc qu’acquiescer à Régis Debray lorsqu’il exprime son trouble face à une Union Européenne si prompte à vouloir détruire, de manière de moins en moins cachée, déterminée, la souveraineté des nations européennes : “ Le ton est d’autant plus comminatoire que la planche de salut reste obscure, et la nature de cette Europe imminente, mystérieuse. ” (9) Car en faisant intervenir la notion de mystère, Régis Debray s’approche au plus près du fond du problème, lequel semble bien être celui auquel René Guénon avait consacré un chapitre dans Le règne de la quantité et les signes des temps, à savoir : “ La grande parodie ou la spiritualité à rebours ”. Guénon estimait, il n’était pas le seul mais peu l’ont démontré avec autant d’acuité que lui, que la société médiévale était incontestablement traditionnelle, c’est-à-dire une société où le primat était donné non pas l’économie, comme de nos jours, ni aux vertus guerrières mais à la spiritualité, en partant du principe apparemment paradoxal que la plus haute activité humaine est la contemplation. Or, à la première étape de l’action anti-traditionnelle, époque de "solidification" née avec l’"Esprit des Lumières" et caractérisée par une attaque frontale des valeurs spirituelles par le rationalisme, le matérialisme et le scientisme, a succédé une seconde, celle que nous voyons actuellement, période de "dissolution" où la tradition se voit non plus combattue mais parodiée par ce que Guénon appelait la "contre-tradition" ou "contre-initiation", la spiritualité à rebours.
Or, dans le même temps, la lente émergence des égoïsmes nationaux, conséquence du partage de l’Empire de Charlemagne décidé par le traité de Verdun, a lentement mais inéluctablement détruit l’ancienne unité européenne dont la religion du Christ était le ciment. Europe et Chrétienté étaient alors une seule et même réalité, celle-là même à qui Louis Lallement, après son magnifique Essai sur la mission de la France (10) commençant par le “ cri de fier amour que Roland jette à Roncevaux ” : “ Que jamais pour moi perde valeur France ”, consacra un essai d’une facture tout aussi remarquable : La vocation de l’Occident (11) où il écrit : “ Cette unité mystique de l’Europe, qui s’appelle la Chrétienté ne fut pas, en son essence, une construction politique mais une communauté spirituelle. ” L’idée d’Empire malgré tout, prolongement de l’idée d’Unité sur le plan social et politique, dura tant bien que mal jusqu’à son dernier avatar, l’Empire Austro-Hongrois qui ne résista pas à la Première Guerre Mondiale, pour le plus grand malheur de l’Europe.
Tout est donc à reconstruire, mais de quelle façon ? C’est là que réside l’essence du “ piège fatal ”. René Guénon : “ On voit déjà s’esquisser notamment, dans des productions diverses dont l’origine ou l’inspiration "contre-initatique" n’est pas douteuse, l’idée d’une organisation qui serait comme la contrepartie, mais aussi par là même la contrefaçon d’une conception traditionnelle telle que celle du "Saint-Empire", organisation qui doit être l’expression de la "contre-tradition" dans l’ordre social. ” (12) Or, comment ne pas voir que c’est bien cela qui est en train de se mettre en place avec cette pseudo construction européenne où les nations ne sont pas remises en cause "par le haut", par des valeurs supranationales d’ordre culturel et spirituel, mais "par le bas", par des suggestionnements internationalistes, hédonistes et mercantiles. Comment ne pas voir qu’à l’Unité est substituée sa caricature, l’Uniformité. Aussi, Henri de Grossouvre a-t-il ô combien raison lorsqu’il prône la multipolarité, le maintien des vieilles entités nationales. Pour autant, cette multipolarité ne saurait être une fin en soi mais seulement un rempart au totalitarisme de l’Uniformité. Car la globalisation est une réalité incontournable, les glacis séparant les anciennes oikoumenè n’existent plus. Consciemment ou non, l’humanité aspire à l’injonction du Christ : Ut unum sint, "Qu’ils soient Un". La mondialisation respectueuse des identités se doit donc d’être distinguée de son idéologisation, le mondialisme niveleur. Le global et le local peuvent coexister. C’est pourquoi l’opposition entre souverainistes et européistes, ou pour mieux dire entre nationaux et européens, nous semble terriblement artificielle et doit être clarifiée. S’il fallait résumer rapidement cette clarification, nous dirions : oui à cette opposition lorsqu’il s’agit de défendre la nation contre la parodie de l’idée d’Empire, l’impérialisme des technocrates de Bruxelles ; non s’il s’agit de se défendre d’une véritable supranationalité au nom de l’exacerbation de l’idée de nation, un nationalisme étroit et égoïste. Opposer la nation à l’Empire, c’est se positionner dans une logique du tiers-exclus, or tout dépassement de soi nécessite le passage à une logique du tiers-inclus, une coïncidentia oppositorum où l’Un et le multiple, l’Esprit et la matière coopèrent dans une synergie de tous les instants. Aussi est-ce un des grands mérites du livre d’Henri de Grossouvre que de ne pas céder à ce travers, car s’il est vrai comme il l’écrit que “ la France est rétive aux empires ” (p.63), il n’en est pas moins vrai que “ L’histoire de la France et celle des Allemands est mêlée, comme l’est celle des Allemands et des Russes. Une partie de notre histoire nous est commune, l’empire de Charlemagne ” (p. 61)
L’idée d’unipolarité n’est donc pas à redouter, elle ne s’oppose pas à la multipolarité mais en est le centre, elle est une réalité géopolitique tout autant qu’une idée traditionnelle qu’il convient de connaître, de maîtriser, et d’intégrer dans La voie de l’indépendance et de la paix pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage d’Henri de Grossouvre. Réalité géopolitique, elle a été conceptualisée par le britannique Halford J. Mackinder, père de la géopolitique moderne, qui voyait dans le Heartland, le "Cœur du Monde", le “ pivot géographique de l’histoire ” : la Terre est recouverte aux trois quarts de mers et d’océans, le quart immergé restant se répartit aux deux tiers entre le World Island, l’"Ile du Monde", immense bloc continental Eurasie/Afrique ; et les Outlying Islands, les "Iles Extérieures", Amériques et Australie. Or, c’est au centre de l’"Ile du Monde", approximativement en Sibérie, en territoire russe – au bout de l’axe Paris-Berlin-Moscou ! – que se situe le Heartland, “ la plus grande forteresse naturelle sur terre ”. Constat qui amena Mackinder à formuler l’axiome central de la pensée géopolitique : “ Qui contrôle le cœur du monde contrôle l’île du monde, qui contrôle l’île du monde contrôle le monde ”. En effet, l’homogénéisation de l’"Ile du Monde" à partir de ce cœur permettrait la constitution d’un Empire eurasiatique et, partant, l’unification du monde. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’affrontement de deux rapports différents au monde. Soit l’unification du monde se fera sous l’égide de l’Amérique, puissance maritime caractérisée par le déracinement, épicentre d’un capitalisme instable, toujours mouvant comme l’est la surface de la mer, promouvant une "culture" soumise aux modes, toujours changeante, en proie à ce bougisme dénoncé par Pierre-André Taguieff, abandonnant les êtres au déterminisme du darwinisme social. Soit cette unification se fera à partir de l’axe Paris-Berlin-Moscou, par la constitution de “ l’Europe tout entière avec la Russie ”, la Grande Europe voulue par le général De Gaulle, puissance continentale, consciente de sa longue histoire pétrie de christianisme et d’humanisme gréco-latin, attachée à la terre, à la culture ouverte mais enracinée, soucieuse de justice sociale.
Il est très remarquable à cet égard, que les grands géopolitologues comme Halford J. Mackinder et l’allemand Karl Haushofer, en énonçant de manière rationnelle et empirique l’existence et l’importance capitale du Heartland, aient redécouvert l’idée traditionnelle de "Centre du monde" ou "Centre suprême", pôle symbolique et/ou littéral du monde. “ Comme le milieu de la terre et le centre de la religion sont en correspondance, c’est bien ici le point central de la terre, le véritable pays du milieu (Madhyadesa) ” (13) C’est là une vision particulière d’une réalité universelle, celle qui veut que toutes choses soient constituées d’un centre ou cœur et d’une périphérie. Le cœur, physique, subtil ou causal, est le principe qui gouverne respectivement le corps, l’âme ou l’esprit de tout individu. Il en est de même en ce qui concerne le monde dès lors que les lois qui régissent le microcosme et le macrocosme sont les mêmes : nous savons que les atomes, comme les systèmes solaires et les galaxies, ont un noyau, un cœur autour duquel tournent respectivement les électrons, les planètes et les étoiles. Quant au rapport du cerveau et du cœur, O.V. de Lubicz-Milosz le voyait ainsi : “ Le cerveau est le satellite du cœur ”. Royaume du Prêtre Jean au Moyen-Age, Agartha pour Saint-Yves d’Alveydre et René Guénon, Royaume de Shambhala dans le Bouddhisme tibétain, ce “ Cœur du Monde ” est à notre planète ce qu’est le Soi pour un individu. C’est de cette rencontre entre la géopolitique et le symbolisme traditionnel qu’a pris naissance cette “ géopolitique transcendantale ”, “ géopolitique de la pacification et du don de soi ” conceptualisée par Dominique de Roux dans son De Gaulle et en laquelle il voyait le soubassement de “ cette certaine idée de la France ” au service de laquelle le général De Gaulle s’était engagé. “ Au-delà de la France, écrit-il, l’assomption de la France annonce et prépare l’assomption de l’Europe, et, à travers celle-ci, de l’ordre universel, de la Pax Franca. ” (14)
Certes, pour tout catholique le centre du monde, après Jérusalem, c’est Rome. “ Rome, cette icône miraculeuse du christianisme universel ” comme l’a écrit Vladimir Soloviev. Rome en qui perdure toujours l’ancien Empire romain, comme l’a encore écrit celui que Paul Toinet a surnommé Le chevalier de la Sophia : “ Les grandes puissances du monde ancien n’ont fait que passer dans l’histoire : Rome seule vit toujours. La roche du Capitole fut consacrée par la pierre biblique, et l’empire romain se transforma en la grande montagne qui, dans la vision prophétique, était née de cette pierre. Et la pierre elle-même, que peut-elle signifier, sinon le pouvoir monarchique de celui qui fut appelé Pierre par excellence et sur qui l’Eglise Universelle – cette montagne de Dieu – fut fondée ? ” (15) Tout cela est vrai bien sûr, ô combien ! Mais est-ce incompatible avec le sentiment, comme l’a exprimé Louis Barmont en se référant aux voyages spirituels d’Anne-Catherine Emmerich à la Montagne des Prophètes, "région primordiale" où sur le plus haut sommet du monde – l’Himalaya ? – sont conservés "des trésors spirituels divins et humains", et où Elie et son "char", toujours selon la voyante de Dulmen, attendraient de redescendre vers les hommes, est-ce incompatible donc avec le sentiment que “ des influences conjuguées, issues du Christ et de la Montagne des Prophètes, orientent les êtres dévoués à la Vérité dans la lutte pour la rénovation qui, s’étendant au monde entier et à toutes choses, coïncidera avec la fin de ce temps ” ? (16) Et faut-il voir dans les déplacements du Pape et du Dalaï Lama à travers le monde, la manifestation extérieure de ces “ influences conjuguées issues du Christ et de la Montagne des Prophètes ” ?
Toujours est-il que l’Europe sera chrétienne ou ne sera pas. Rien ne pourra donc se faire sans l’union sans confusion de l’Eglise catholique, Eglise orthodoxe d’Occident, et de l’Eglise orthodoxe, Eglise catholique d’Orient. L’Europe, comme sa mère l’Eglise Universelle, ne peut respirer pleinement qu’avec ses deux poumons, c’est ce que ne cesse de répéter de diverses manières, Jean-Paul II, Pape "slave parmi les latins, et latin parmi les slaves". Entre les deux poumons : le cœur, principe de vie, athanor en lequel tout doit être transmuté dans le feu de l’Incendium amoris. Oui, Paris-Berlin-Moscou en définitive, c’est la voie du cœur, "Cœur du monde", cœur de la Russie pays de la "Prière du cœur", notre propre cœur priant, implorant l’effusion sur le monde des mystères d’Amour et de Paix contenus en surabondance dans le Cœur du Christ.

Christian Rangdreul
Notes :
1. Henri de Grossouvre, Paris-Berlin-Moscou, "La voie de l’indépendance et de la paix", préface de Pierre Marie Gallois, L’Age d’Homme, 2002
2. Conférence de presse tenue au Palais d’Orsay, 29 mars 1949, citation pp. 18 et 52
3. Gérald Fouchet, Vers une nouvelle guerre froide Chine-USA, Géostratégiques, mars 2001, n° 3, cité p. 40
4. Michel Collon, La guerre globale a commencé, texte extrait d’un livre collectif à paraître : L’empire en guerre. Le monde après le 11 septembre, coédition Temps des cerises-EPO, Paris-Bruxelles, cité p. 32
5. Sur ce sujet, voir Alexandre Del Valle, Guerre contre l’Europe, Bosnie-Kossovo-Tchétchénie…,éditions des Syrtes, 2000
6. Pierre Marie Gallois, Le consentement fatal, l’Europe face aux Etats-Unis, Les éditions Textuel, 2001
7. Ibid.
8. Georges Bernanos, La liberté pourquoi faire, Gallimard, 1972
9. Régis Debray, Tous Azimuts, éditions Odile Jacob, 1989, cité p. 45
10. Louis Lallement, Essai sur la mission de la France, La Colombe, 1946
11. Louis Lallement, La vocation de l’Occident, La Colombe, 1947
12. René Guénon, Le règne de la quantité et les signes des temps, Gallimard, 1970
13. La voie vers Shambhala, par le Troisième Pan Chen Lama, d’après l’édition d’Albert Grünwedel, traduction française de Jean Rémy et J.L. Duvignan, Archè Milano, 1983
14. Dominique de Roux, De Gaulle, Editions Universitaires, 1967
15. Vladimir Soloviev, La Sophia et le autres écrits français, L’Age d’Homme, 1981
16. Louis Barmont, L’ésotérisme de Dürer, "La Melencolia", Les Editions Traditionnelles, 1994
Source : revue "Contrelittérature" (août 2002)


13, juillet 2006
 
 
 
 
 
 
 

 

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