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 Un peu plus vers l'Est
Un peu plus vers l'est

Un livre d' Henri de Grossouvre sur l'Europe face à la mondialisation



Par Vladimir VOLKOFF
(Paru dans Le Figaro du 31 Juillet 2002)

Les hommes qui, comme moi, ne croient pas qu'on guérisse des maux locaux en les étendant à un continent ou en les rendant universels - c'est-à-dire les hommes qui, réticents à l'égard de l'Europe et de la mondialisation, demeurent attachés à la souveraineté nationale - ne sont pas tous, pour autant, fermés aux nécessités de la politique moderne, même si, contrairement à l'opinion répandue, ils pensent qu'on ne fonde pas une politique sur des comptes d'épicier ni une communauté de nations sur les commodités du marché. C'est à ces hommes-là que s'adresse le livre d' Henri de Grossouvre préfacé par le général Gallois, Paris Berlin Moscou.
Dans ces quelque 160 pages denses et fermes, l'auteur répond à des questions que je me pose depuis un certain temps, et il y répond dans un sens qui me paraît conforme à la fois à l'histoire et à la géographie : tant pis pour M. Samuel Huntington et sa théorie du choc des civilisations, qui ne peut déboucher que sur de nouveaux et stériles conflits. M. de Grossouvre, au contraire, envisage un avenir politique pacifique et fécond, le sous-titre de son livre étant : « La voie de l'indépendance et de la paix ».
Partant d'une lecture de la carte de l'Eurasie, l'auteur constate que, depuis la chute du mur de Berlin, « le centre de gravité de l'Europe politico-géographique s'est déplacé vers l'est ». Ajoutez à cela la constatation de Dieter Groh, pour qui la Russie est « le subconscient de l'Europe, son révélateur », et ajoutez-y encore la parole inquiétante du président Clinton déclarant que la Caspienne est « une zone d'intérêt stratégique pour les Etats-Unis ». Les termes du problème sont posés. Traitée comme amie ou comme ennemie par les uns ou par les autres, la Russie est en train de devenir un facteur inévitable de notre avenir, que l'Europe doive être intégrée, ou fédérée, ou confédérée, ou constituée de nations souveraines.
On peut s'aveugler sur ce fait et inventer une frontière orientale de l'Europe qui correspondrait à celle de la Pologne ; on peut tracer une ligne de démarcation entre l'Europe catholico-protestante et l'Europe orthodoxe ; on peut, par haine ou par crainte de la Russie, lui préférer son adversaire de toujours, la Turquie ; on peut imaginer l'Europe comme une colonie volontaire et même enthousiaste des Etats-Unis ; mais M. de Grossouvre montre que ces prises de position ne sont pas inéluctables et qu'il y a un moyen infiniment plus simple et plus conforme à la réalité d'accepter que l'humanité, jadis pulvérisée en cités et en tribus, évolue vers des conglomérats plus fonctionnels.
Personne ne changera rien au fait qu'une surface de terre de 180° de large (la moitié de la circonférence terrestre) s'étend entre deux océans ; que, d'est en ouest, il n'y a, sur cette surface, aucune frontière naturelle ; et que cette surface est peuplée majoritairement d'hommes appartenant à la race blanche, parlant des langues indo-européennes, et marqués, plus ou moins profondément, par la religion chrétienne.
Sans doute les Etats-Unis sont-ils assez vastes eux aussi, et majoritairement peuplés de Blancs chrétiens depuis que ces Blancs chrétiens ont exterminé les indigènes indiens, mais, quelles que soient la rapidité des avions à réaction et l'instantanéité des contacts par Internet, il ne semble pas qu'on puisse traiter à la légère l'envergure de l'Atlantique et du Pacifique. Qu'on le veuille ou non, Paris est à deux fuseaux horaires de Moscou et à six de Washington.
Prenant conscience de ces indéniables réalités, M. de Grossouvre préconise la création d'un axe Paris-Berlin-Moscou qui lui semble de nature à sauvegarder autant d'indépendance nationale que les diverses nations européennes en souhaiteront et la paix sur un continent qui, conscient de son identité et de ses intérêts, saura résister aux concupiscences venues d'ailleurs, et qu'on a tort de présenter comme irrésistibles : l'auteur rappelle fort justement que les Etats-Unis représentaient 46 % du PIB mondial en 1946 et qu'ils n'en représentent plus aujourd'hui que 25 %, toute superpuissance qu'ils sont.
En lisant l'excellent Paris Berlin Moscou, je me suis rappelé une question que j'avais posée il y a quelques années à un diplomate américain, et surtout sa réponse éblouissante de candeur. « Je ne comprends pas, lui disais-je. Souhaitez-vous que l'Europe se fasse ou qu'elle ne se fasse pas ? »
Il me répondit :
« Nous souhaitons qu'elle se fasse... mal. »
Henri de Grossouvre propose une méthode pour qu'elle se fasse... bien.
Vladimir Volkoff
Source: Le Figaro


12, juillet 2006
 
 
 
 
 
 
 

 

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