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 Axe de paix
Paris-Berlin-Moscou : l’axe de la paix
L’axe Paris-Berlin-Moscou a prouvé, depuis la déclaration commune, de la France de l’Allemagne et de la Russie le 10 février 2003 qu’il incarnait l’axe de la paix : « Il y a encore une alternative à la guerre. L'usage de la force ne pourrait constituer qu'un ultime recours. La Russie, l'Allemagne et la France sont déterminées à donner toutes les chances au désarmement de l'Iraq dans la paix ». Notre livre « Paris-Berlin-Moscou » publié en mai 2002 portait déjà le sous-titre : « la voie de l’indépendance et de la paix ». Ce livre expliquait comment, depuis Charles de Gaulle jusqu'à aujourd’hui, la France et l'Allemagne, lorsqu'elles coopèrent et s'entendent sur des objectifs communs, ont toujours été en mesure d'emporter l'adhésion de leurs partenaires européens. Ce livre expliquait aussi pourquoi et comment, la mise en place d’un partenariat stratégique entre l’Union Européenne et la Russie autour d’un axe idéal Paris-Berlin-Moscou, permettrait à l’Europe de résoudre les grands défis du XXIe siècle: l’énergie, la sécurité, l’espace et la maîtrise des hautes technologies. Ce livre proposait des solutions concrètes et pragmatiques pour les domaines institutionnels, économiques, stratégiques et politiques. Le cas d’espèce de la position commune de la France, l’Allemagne et la Russie sur l’Irak nous laisse entrevoir le potentiel de l’axe Paris-Berlin-Moscou.
Il est certes vraisemblable que l’axe Paris-Berlin-Moscou ne survivra pas, à court terme, à la crise irakienne. Mais la position commune tripartite aura révélé le potentiel opérationnel que recèle cette alliance continentale, car Paris, Berlin, et Moscou ont toujours été et demeureront les trois centres de gravités géopolitiques majeurs du continent européen. En France, l’habileté de M. de Villepin, les événements internationaux, et la cohésion retrouvée de l’exécutif, ont permis à Jacques Chirac d’assumer sur la scène mondiale une mission de résistance gaullienne pour laquelle il ne semblait pas prédestiné. Sur les domaines prioritaires des coopérations franco-allemande et franco-russe, le chef de la diplomatie française engrange les succès. Il a trouvé un compromis sur la PAC et a ainsi renoué le dialogue franco-allemand, puis a contribué de manière décisive à trouver un accord sur la question de Kaliningrad, et enfin, a travaillé au retournement total de la politique de Jacques Chirac vis-à-vis de la Russie. Des organes comme le conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité renforcent les collaborations déjà quotidiennes entre les ministères de la Défense des deux pays et leurs services de renseignement militaire. Le dialogue énergétique qui était au cœur des rencontres intergouvernementales franco-russes de novembre 2002 est également enfin sérieusement engagé. Désormais, Dominique de Villepin et Joschka Fischer représentent personnellement leurs pays aux travaux de la convention et coordonnent efficacement leurs actions. L’ouverture d’un centre culturel commun franco-allemand à Moscou devrait bientôt être enfin une réalité. Au sein du couple franco-allemand, l’ascendant a été repris par la France, face à une Allemagne affaiblie par les tensions au sein de la coalition SPD-Verts.
L'évolution de la position russe
A Moscou, Vladimir Poutine, a su asseoir sa légitimité et composer avec les oligarques. Il s’appuie, semble t’il, en interne sur le discret et incontournable chef de l’administration du Kremlin, Alexandre Voloshin. Le président Poutine affirme régulièrement que l’avenir de son pays est en Europe. Il serait prêt à une coopération stratégique avec l’Union européenne si elle s’affirmait comme puissance autonome. La Russie a souvent l’impression que Bruxelles cherche des prétextes pour retarder la coopération économique Russie-Union européenne. C’est pour cela que la France et l’Allemagne peuvent et doivent ensemble inspirer et stimuler la politique russe de l’Union.
On note tout récemment (fin février 2002) un net changement de la politique russe vis-à-vis de pays qui posent actuellement problèmes aux Etats-Unis. Le président Poutine a dépêché en Irak fin février l’ancien ministre Yevgeny Primakov, l’homme du triangle stratégique Russie-Chine-Inde, arabiste connaissant personnellement Sadam Hussein depuis 1969. Moscou et Pékin ont coordonné leurs positions sur l’Irak comme cela a été annoncé lors de la rencontre du 28 février entre Jiang Zemin et le ministre russe des affaires étrangères Igor Ivanov. Un sujet qui agace particulièrement Washington, la Chine étant à moyen terme pour les stratèges américains leur principal challenger. Lors de cette rencontre, la coopération économique et énergétique a aussi été abordée. Les projets de développement conjoints russo-chinois de la riche mais sous-peuplée Sibérie orientale bouleverseraient les rapports de forces économiques dans la zone Pacifique au détriment des Etats-Unis. Enfin, la Russie qui était un peu en retrait derrière les positions hostiles à la guerre en Irak du couple franco-allemand semble tenir la longueur. Ainsi, Moscou qui ne voulait et ne pouvait aborder les Etats-Unis de front abandonne quelque peu la rhétorique de l’inconditionnel soutien à la guerre contre le terrorisme des Etats-Unis pour affirmer ses liens avec les puissances eurasiatiques qui ne suivent pas la ligne de Washington.

La réorganisation du monde a commencé
La crise irakienne nous révèle que quelque chose de fondamental est en train de se passer : la réorganisation brutale du monde. Les sujets stratégiques jusque là occultés sont désormais débattus au grand jour. Par exemple, le rapport commandé par le commissaire Pascal Lamy à l’IFRI, et dirigé par Philippe Colombani, a été commenté par la presse les 10 et 11 février dernier. La plupart des thèmes abordés dans ce rapport ont été développés dans mon livre « Paris-Berlin-Moscou » : le déclin économique de l’Europe au profit des Etats-Unis et de la zone Pacifique ; la situation démographique catastrophique et bientôt irréversible de la démographie européenne ; la nécessité d’établir un partenariat stratégique avec la Russie en priorité dans domaine énergétique, etc. Les Etats-Unis ne prennent plus de gants, ni avec leurs alliés, ni avec leurs ennemis, car le temps leur est compté. Certes aucun empire avant eux n’a joui d’une telle suprématie sur le monde, mais le temps ne joue pas en leur faveur. En 1946, les Etats-Unis représentaient 46% du PIB mondial, aujourd’hui ils en représentent 25%, leur part relative continuera à baisser. Les Etats-Unis, comme l’empire victorien déclinant à la veille de la première guerre mondiale, vont donc tout faire pour verrouiller leur suprématie actuelle. Depuis l’antiquité grecque on sait que les relations entre les communautés humaines sont régies par les rapports de force. Dans la société des hommes, la paix et la guerre se succèdent toujours. «On peut imaginer en théorie que les choses devraient se passer autrement, mais alors on se situe hors du temps et de l‘histoire» (Julien Freund). Aujourd’hui, l’enjeu de pouvoir primordial consiste à contrôler les informations sur l’état des forces en présences, travail de long terme, et à dissimuler les buts de guerre par l’instrumentalisation des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme. Non seulement la mise en place d’un régime démocratique en Irak n’est pas le but des Etats-Unis mais il serait, de leur point de vue, une catastrophe, un régime démocratique serait dominé par les chiites majoritaires en Irak, rapprochant ainsi Bagdad et Téhéran. L’Iran et le contrôle du golfe arabo-persique constituent la prochaine étape de la réorganisation américaine au Proche-Orient, comme l’affirme Richard Perle. Les années à venir seront tumultueuses, « mais là où il y a le danger, là aussi croît ce qui sauve » (Hölderlin).

Réunir Francs de l'Ouest et Francs de l'Est
Les dirigeants européens ont pris conscience de l’urgence d’une Europe capable de dialoguer avec la Russie, les Etats-Unis, la Chine, et l’Inde. L’avenir appartient aux grands ensemble. Si l’Europe veut contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire, il faut qu’elle soit à même de peser sur la scène internationale. L’Union Européenne dont on ne connaît pour le moment ni les buts, ni la forme finale, est en pleine transition. L’enjeu de l’élargissement et de la réforme des institutions européennes est crucial. Le risque est grand de voir l’Union ne devenir qu’une vaste zone de libre-échange sous protectorat stratégique américain, un géant économique, mais un nain politique. L’UE est déjà à géométrie variable, trois de ses membres sur les quinze n’ont pas rejoint la zone Euro. Un noyau dur ne peut prendre que la forme d’une confédération franco-allemande comme le rappelle Pascal Lamy*. Le Benelux pourrait rejoindre cette union franco-allemande Cette base carolingienne sur laquelle s’est construite l’Europe des six a une unité et une cohérence culturelle, géopolitique, et économique. Nous devrions saisir l’opportunité du quarantième anniversaire du traité de l’Elysée pour affermir la relance de la coopération franco-allemande en unissant nos deux pays de la manière la plus étroite possible. Nous souhaitons voir se réaliser le souhait émis par le général de Gaulle en 1943 : l’abolition du traité de Verdun de 842 qui avait partagé l’empire de Charlemagne, pour « réunir enfin Francs de l’Ouest et Francs de l’Est ».
* « L’Europe du commissaire Pascal Lamy », L’Humanité, 20 décembre 2002.
Henri de Grossouvre
Article paru sous le titre "Europe. Pour l'alliance Paris, Berlin, Moscou", dans "Intelligence et sécurité", Lettre confidentielle d'actualité stratégique (numéro 26, février 2003).


18, juillet 2006
 
 
 
 
 
 
 

 

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